C’est quoi écrire?

13 septembre 2023

Par René Racette (117e cours)

Je ne vous apprends rien en disant qu’écrire, c’est penser avant d’écrire, avant de décrire.

De faire des premiers pas en rampant, puis à genoux, puis en chutant avant de pouvoir se tenir debout.

Mais je peux vous faire savoir qui je suis dans mon rapport à l’écriture. Un peu de qui je suis.

Écrire, c’est dormir parmi des lettres et se réveiller parmi des mots. C’est se rendre chez les autres comme cela pourrait être de rester chez soi.

C’est d’écouter, de respirer et de ressentir que des sentiments existent au bout de ses doigts en quelques phrases rassemblées.

C’est aussi prendre son envol comme des plumes d’oiseaux franchissant des obstacles soulevés par le vent, y retournant à chaque saison propice pour y faire des petits et les voir courir à leurs pattes.

L’écriture, ça prend la forme et l’espace d’un désir de poser ses pensées sur du papier jauni ou sur un clavier moderne. C’est être riche et avoir des idées pauvres ; c’est être pauvre et vivre riche de trésors dans sa tête.

Pour moi, c’est me lever à la barre du jour pour y jeter ma nuit, pour la rendre visible.

C’est humecter son visage avec la fraîcheur des mots qui ont vécu dans nos rêves. C’est prendre un peu de mots éparpillés et de les amener vivre parmi les siens, parmi les émotions, leur faire respirer le parfum des fleurs.

L’écriture tient des vibrations de l’âme et du coeur. C’est des couleurs qu’on pose sur une toile de papier ou du papyrus ancien. C’est le vent qui s’agite dans les feuilles, des étoiles qui illuminent la nuit.

C’est un lecteur qui s’enrichit d’avoir ainsi du pain à sa table. C’est amener sa vie parmi les guerres, et l’espace et les bêtes et les gens.

C’est prendre un éventail petit de lettres, les joindre ensemble en un tout pour qu’on puisse se comprendre, pour que les autres nous y rejoignent.

Écrire, c’est faire même en ne faisant pas un geste; c’est parler sans ouvrir la bouche; c’est chanter tout haut des airs d’opéra. C’est tout cela pour un et c’est tout autre pour d’autres.

Des mots posés tendrement sur papier, c’est prendre un crayon, une plume dans l’océan de son encre pour y reproduire les traits des êtres et y tracer les dessins d’une vie.

C’est aussi prendre quelqu’un dans ses bras pour y bâtir un pont d’amitié, pour éclater de joies à un sourire partagé.

C’est se projeter au-delà de soi pour se rendre dans l’univers des autres sans artifices, sans parades, sans faux-semblants, sans gonflements, sans prétentions.

C’est effacer un premier jet et trouver le courage de recommencer. Une démarche pure et authentique que cela comprend.

Les oiseaux écrivent en faisant des mouvements gracieux dans le ciel, les poissons s’expriment en leurs mouvements parmi les herbes dans les teintes des coraux.

Les humains même de la préhistoire ont gravé sur la pierre, y ont imprimé leur vie sans savoir l’avenir de nos regards sur eux.

L’écriture. C’est se rendre sans le savoir à la fin de sa vie, en prenant note de ce qui a été ressenti, en l’ajoutant aux sursauts de son âme jusqu’à son éternité.

Tout en prenant conscience dans les mots mêmes de Christian Bobin, l’écrivain : que si éclairants soient les grands textes, ils donnent moins de lumière que les premiers flocons de neige.