Dans la cohue des au revoir

13 septembre 2023

Par René Racette (117e cours)

Gilles Mireault (117e cours), notre confrère, est décédé le 10 mars dernier. Ce que je retiens de lui. Gilles était un être lumineux, qui s’exprimait calmement et qui toujours avait un sourire aux lèvres. Selon Confucius, le plus grand voyageur est celui qui a su faire le tour de lui-même. Gilles a su le faire à sa façon. J’ai rédigé ce texte en sa mémoire et pour rendre hommage à ceux et celles qui l’ont précédé dans son voyage. Et pour célébrer la vie.

Je nous revois les uns et les autres assis derrière nos petits pupitres de classe au Séminaire. À rire, à faire quelques coups pendables, à poursuivre nos apprentissages. Et ailleurs dans nos multiples lieux d’activités qui nous ont soudés un temps les uns aux autres. Le temps, vous le savez, n’efface pas tout des images qui nous en restent individuellement. Il y avait parfois au cours de nos années ensemble quelques élèves qui s’absentaient le temps d’une journée, d’une semaine. D’autres ne revenaient pas à la fin d’un trimestre ou d’une année. On retenait d’eux et d’elles ce qu’ils ou qu’elles étaient pour nous en notre mémoire, de leur présence, de nos affinités. Et puis la vie s’en est allée selon chacun, chacune notre chemin, notre destin.

C’est à l’occasion de nos retrouvailles en 2008, en 2013 et en 2018 que l’on s’est rendu compte que les absences étaient devenues définitives pour un certain nombre d’entre nous. Et à chaque fois qu’un, qu’une des nôtres s’en va, on en est d’autant plus conscient que le temps fait son œuvre inéluctablement sur le cœur de notre propre vie. Il faut se rendre à l’évidence. Nous faisons partie de la cohue des au revoir. Entretemps, je suis heureux que vous soyez là, de vous faire signe. C’est encore à nous de porter la vie auprès de nos proches et de vivre pleinement au meilleur de notre être.

Je termine la lecture de ce merveilleux roman Tout le bleu du ciel de Mélissa Da Costa. En voici quelques extraits :
« Ce soir, je me suis accordé mon pardon. C’était comme une petite délivrance. Je me suis rendu compte que c’était rare qu’on se montre indulgent envers soi-même. Moi, j’avais perdu l’habitude de le faire. En fait, je crois que j’avais oublié que je pouvais m’aimer. Je crois qu’on a tous besoin de faire ces retours sur image avant de s’en aller, de revoir les événements avec de nouveaux yeux, plus sages avec le recul des années. Je ne suis qu’au début du chemin. La route est encore longue. J’espère que j’y arriverai, que je trouverai la conclusion de ma vie et que je partirai en paix. Quoi qu’il en soit, je suis heureux ce soir. Le ciel est d’un beau bleu noir, les étoiles brillent, le feu crépite et je me sens parfaitement bien. Je vais bientôt mourir et je ne me suis jamais senti aussi en paix avec moi-même. Je porte un nouveau regard sur moi, sur le jeune homme un peu stupide que j’ai été, mais ce regard est bienveillant. Je me sens grandi grâce à ces quelques mois. Je me sens élevé. Aujourd’hui je veux m’élever encore, je veux continuer à lire ces citations dans les bouquins jaunis de Joanne, et les méditer le soir venu, à la lueur de la bougie. Je voulais parler de la mort, mais la vie a fait irruption comme d’habitude. La mort n’est pas un drame, elle fait partie de la vie et on doit l’accepter.

Les larmes s’écrasent sur les petites pièces du puzzle. Joanne pleure et Émile aussi car il perçoit toute sa douleur. Son infinie souffrance. Elle vient de la déposer en lui pour qu’ils partagent, pour qu’elle ne soit plus la seule à souffrir. Et il accepte ce cadeau. Il l’accepte sans retenue. Alors il pleure avec elle jusqu’à l’aube, où s’éteignent une à une chacune des petites bougies tremblotantes, comme autant d’étoiles dans le ciel. »

Amicalement,

René Racette